J’ai longtemps considéré le verbe « attendre » comme essentiellement féminin. Bien sûr, je sais que les verbes n’ont pas de genre. Je considérais seulement leur fréquence d'emploi.
Les parents, de manière indifférenciée, répondent facilement aux plus jeunes qu’ils doivent attendre d’être grands, de savoir, de comprendre.
A l’adolescence naissante, attendre se féminise.
Les filles attendent impatiemment, quoi qu’elles en disent parfois, les premiers signes de leur féminité. Les garçons éprouvent-ils cette impatience de devenir des hommes ? Je n’en suis pas certaine. Et la rapidité à laquelle les filles deviennent des jeunes filles que les hommes regardent dans la rue tandis que les garçons restent encore longtemps des petits garçons, me conforte dans l’idée qu’eux sont moins pressés.
Vient enfin le jour où la nature fait d’elles des demoiselles.
La véritable attente commence alors.
Attente de la répétition du mystère lunaire. Chaque mois compter les jours et attendre que refleurissent pendant quelques jours les Fleurs de Lune.
C’est à cette époque de leur vie que les filles commencent à espérer, à attendre l’amour. Non, l’Amour. Leur cœur, encore tendre, encore en apprentissage, regarde passer les jeunes mâles et se désespère : quel jour aura lieu le miracle ? Lequel de ces garçons la regardera avec douceur ? Comment saura-t-elle qu’il est l’Élu ?
Enfin le cœur a parlé. Elle aime et est aimée en retour. Il lui faut maintenant attendre d’être sûre (c’est maman qui l’a dit). Être sûre que c’est Lui. Peut-être attendre un peu, d’être plus « vieille »…
Les années passent, les amours aussi. Les flirts ont été poussés au plus loin. Même, il y a eu quelques coucheries. Après tout, n’ont-elles pas les mêmes droits que les garçons ?
Et voila celui qui, de toute évidence, est l’Homme de sa vie !
Nouvelle attente. Oh ! Bien sûr ! Vous me direz que les filles ne rêvent plus de demande en mariage sous une tonnelle, de robe blanche et de voile virginal… Permettez-moi de ne pas y croire.
Elles n’attendent plus le mariage comme une fin en soi, et c’est tant mieux. Mais beaucoup rêvent encore d’un joli mariage plein de tulle et de fleurs. Elles rêvent encore d’être pour une journée mémorable, la Princesse qu’on couvre d’attentions et de bijoux.
Mariage ou pas, la vie commune a commencé. La vie active aussi. Parce que je suis une vraie optimiste et que je ne veux pas passer par la case « elle attend de trouver un travail après ces longues années d’études ».
Elle travaille, donc et lui aussi. Et ils vivent ensemble.
Nouvelle attente. Quand la lune la rassurait chaque mois, la voila devenue sa pire ennemie ! Mais quand donc verra-t-elle enfin qu’une autre attente a commencé ?
Paradoxalement, c’est l’absence qui crée la conscience d’une présence. Un jour de retard. Ne pas s’emballer. Attendre un peu. Dix jours de retard. Que faire ? Être encore patiente et voir un médecin, ou perdre patience et foncer à la pharmacie ?
Quel que soit son choix, la réponse est maintenant là, sous ses yeux : il reste quelques huit mois à attendre. Huit mois jalonnés d’autres attentes : attendre le premier signe de vie, le premier coup de pied. Attendre cette échographie qui révélera le sexe de l’attendu. Attendre encore un peu avant de commencer les achats de layette, de poussette, de doudou…
Et une nuit – elle le savait que les bébés voient souvent le jour en pleine nuit - nouvelle étape. Partir vite et se réfugier auprès des professionnels afin que l’attente finale soit la plus rassurante possible. Attendre. Compter le temps qui s’écoule entre deux douleurs intenses. Attendre.
Et perdre le fil du temps qui tout à coup s’est accéléré.
Il – elle- est là !
Mais l’attente ne fait que commencer… Attendre qu’il sourie. Attendre qu’il s’asseye seul. Attendre que ses premières dents cessent de le torturer. Attendre qu’il se redresse. Attendre qu’il fasse ses premiers pas… Être toujours dans l'attente que tout est normal.
Il y aura toutes les autres attentes qui jalonnent la vie des mères et de leurs enfants : attendre avec angoisse le premier jour d’école, la première vraie séparation. Attendre qu’il grandisse et qu’il découvre le monde.
Et si l'enfant est une fille, attendre que la fleur s'épanouisse à son tour.
Évidemment, sa vie n’est pas que dans cet enfant.
Si elle travaille, elle attendra toujours une promotion, une meilleure place.
Le verbe attendre redevient mixte.
Le temps passe sur elle et sur son corps et, un matin, alors qu’elle ne l’attendait pas, elle voit la première ride, le premier cheveu blanc. Elle attend alors la suite. Les autres marques qui diront que le temps file.
Viendra le jour où elle attendra d’avoir la certitude que la lune n’est plus avec elle.
Elle regarde alors sa fille, devenue une femme, et elle attend la suite.
Attendre…. Un verbe féminin.
dimanche 1 mars 2009
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Mais lorsqu'il s'agit de laisser ses enfants s'envoler, la femme attend-elle ou s'accroche-t-elle encore au passé? Une fois, quand j'en étais encore au début de mon adolescence (pas très spécialement précoce : c'est vrai que le hommes sont moins pressés), j'ai rasé mon vague duvet. Ma mère m'a croisé dans les escaliers et s'est alarmée : "oh non! attends encore un peu!". Il y avait déjà de la nostalgie dans sa voix. Tu me diras que c'est une autre forme d'attente que de vouloir différer les choses.
RépondreSupprimerSinon, les garçons aussi guettent leurs premiers poils et... euh non, rien.
Pour finir, j'ai longtemps attendu, moi aussi : à 12 ans, je me laissais jusqu'à 14 pour devenir le beau mec que je rêvais de devenir (et ça allait arriver, nécessairement); à 14, je me suis laissé jusqu'à 16 ans pour le même objectif; à 16 ans j'ai encore prolongé le délai jusqu'à 19. Le sursis court toujours...
Ce billet n'est que la réécriture d'une vieille nouvelle écrite il y a longtemps déjà. Mais oui, je crois (je suis sûre, je l'ai vécu!) que c'est à la fois extraordinaire, intéressant et inquiétant de voir ses enfants grandir.
RépondreSupprimerle plus douloureux cependant c'est l'attente... de ce qui n'arrive pas.